Répression au Maroc
Posté par jacques LAUPIES le 13 juillet 2017
Maroc. Nasser Zefzafi, l’icône du Rif devant les juges
Le régime hésite sur la marche à suivre pour casser cette figure de la contestation rifaine. La diffusion d’une humiliante vidéo du prisonnier a soulevé, lundi, une vague d’indignation.
Ses diatribes, en arabe dialectal ou en tarifit, la langue berbère du Rif, ont touché les cœurs et nourri, pendant huit mois, la flamme de la révolte dans le nord du Maroc. Nasser Zefzafi y a gagné un respectueux surnom : « Amghar » (« le Sage »). Dans ses discours sans concession, il dénonce la marginalisation politique, sociale et culturelle de sa région, avec, toujours, ce leitmotiv : le pacifisme. Depuis son arrestation, le 29 mai, ce chômeur de 39 ans, leader du hirak, est incarcéré à la prison d’Oukacha, à Casablanca, avec une quarantaine d’autres figures du mouvement rifain. Au total, 239 protestataires font l’objet de poursuites judiciaires. Parmi eux, 176 sont détenus. De très lourdes charges pèsent sur Nasser Zefzafi : il est accusé de « complot, de propagande visant à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État, à l’intégrité du royaume et sa souveraineté », à travers « la perception de sommes d’argent », en menant « une attaque ayant pour but la dévastation, le massacre et le pillage dans plusieurs régions ».
Un mouvement social qui n’a pas connu de trêve depuis neuf mois
Lundi, il a été présenté à un juge d’instruction, qui l’a interrogé pendant plus de six heures. « Il a rejeté toutes les accusations portées contre lui et affirmé qu’il avait signé des PV qu’il n’avait pas lus », a indiqué à l’AFP l’un de ses avocats, Said Benhammani, à l’issue de l’audition. Quoi qu’il en soit, cette instruction est entachée par les allégations de torture et de traitements inhumains et dégradants infligés au détenu politique. Depuis la fuite d’extraits d’un rapport de médecins légistes demandé par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), une instance officielle qui corrobore ces affirmations, la guerre semble déclarée entre l’aile sécuritaire du régime et les tenants d’une politique d’apaisement dans le Rif. Dernier épisode de ce conflit larvé, lundi, un site connu pour être un relais des services marocains (barlamane.com) a diffusé une vidéo muette de Nasser Zefzafi filmé et photographié (on entend les clics de l’appareil), en train d’exposer différentes parties de son corps : jambes, dos, ventre, bras…
Le texte accompagnant la vidéo prétend, à l’appui de ces images, que le détenu politique ne porte pas de traces de violences, qu’il n’aurait donc pas subi de tortures. Contraindre un prisonnier à dévoiler son corps, le filmer et diffuser publiquement ces images pour alimenter la propagande des tortionnaires… le procédé a déclenché un tollé. « La publication d’une vidéo humiliante de Nasser Zefzafi est une atteinte à ses droits de prisonnier. Nous condamnons cet acte », a réagi l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Le site d’information francophone le Desk a vu dans cette séquence « un nouvel épisode du climat délétère que traverse le pays avec son chapelet de barbouzeries continuelles ». L’administration pénitentiaire, elle, décline toute responsabilité, assurant que ces images ont été tournées avant le transfert du détenu à Casablanca. Mais le directeur de la prison d’Oukacha a été relevé de ses fonctions et muté… « Immédiatement après avoir pris connaissance de cette vidéo », le procureur général du roi à Casablanca a « ordonné l’ouverture d’une enquête pour élucider les circonstances de son enregistrement et la finalité de sa publication », indique un communiqué diffusé lundi soir. Le ministre des Droits de l’homme, Mustapha Ramid, a exprimé son « indignation ». Entre-temps, la vidéo controversée a été retirée,
Signe que le régime marocain, divisé, hésite sur la marche à suivre pour étouffer un mouvement social, politique et culturel qui n’a pas connu de trêve depuis neuf mois. La diabolisation de Nasser Zefzafi, d’abord présenté comme un séparatiste amazigh (Berbère) à la solde de l’Algérie, a laissé place à la stratégie de l’humiliation. Objectif : casser le militant, dissiper l’aura de cette figure charismatique et très populaire qui fustige la corruption, dénonce sans relâche la hogra (le mépris de l’État pour le peuple) et revendique fièrement l’héritage de la République d’Abdelkrim El Khattabi, héros de la première guerre anticoloniale du XXe siècle. Peine perdue. À Al Hoceïma, malgré la répression, les protestations se poursuivent. Avec ce slogan : « Nous sommes tous Zefzafi. »
Tapis rouge pour Hammouchi
Visé, en France, par une plainte pour complicité de torture, Abdellatif Hammouchi, le patron de la direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la direction générale de la surveillance du territoire marocaines, était reçu, il y a deux semaines, à l’Élysée. Proche du roi, ce sécurocrate défend une ligne dure de répression dans le Rif. La DGSN est mise en cause par le Conseil national des droits de l’homme pour les actes de torture infligés aux détenus du Hirak. Pas de quoi émouvoir Paris. Au Quai d’Orsay, on affirme que « la France est attentive à la situation complexe dans le Rif ».